Durant la semaine du 11 au 17 janvier 2021, nombre de médias de grand chemin se sont faits l’écho d’un danger imminent qui pèserait sur la France : il y aurait une ultra droite en train de s’armer. Heureusement, l’État et les médias veillent.
Un trafic, des armes, un peu « d’ultra droite », de quoi rendre heureux des médias persuadés que le véritable danger qui planerait sur la France est une supposée mouvance d’extrême droite radicalisée, pourtant bien discrète, plutôt que les tenants de l’islamisme déjà amplement passés à l’acte. Attentats et meurtres réguliers le montrent. Pourtant, les médias de grand chemin, soucieux de lutter contre les « amalgames », ont besoin de trouver des preuves que les grands méchants ne seraient pas uniquement musulmans ou issus de l’immigration. Le moindre os leur suffit, fut-il petit et rare.
Coup de filet médiatique
Pour Le Monde, le 14 janvier, c’est d’ailleurs d’un « très gros coup de filet » dont il s’agit, réalisé par « la brigade de répression du banditisme de la police judiciaire parisienne dans les cercles discrets des passionnés d’armes. Dix personnes ont été interpellées dans plusieurs régions de France et placées en garde à vue, mardi 12 janvier, dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en juin 2020 notamment des chefs d’acquisition, de détention, de transport d’armes et d’association de malfaiteurs. Selon nos informations, six de ces interpellés sont des militaires en activité ou de jeunes retraités du ministère de la défense. » Des passionnés mais un « réseau atypique par son ampleur et sa proximité avec les milieux du narco-banditisme », qui aurait fourni des armes à des trafiquants de drogue et « des sympathisants d’ultra droite ».
La suite immédiate de l’article est un sommet de rhétorique de grand chemin : « Les faits doivent encore être consolidés par les gardes à vue mais pour certains des interpellés, la question se pose de savoir si ces armes auraient pu servir à nourrir, dans des délais encore à établir, un projet d’action violente. L’un d’entre eux était connu pour être un sympathisant d’extrême droite tandis qu’un autre était « fiché S » en raison de ses liens avec l’ultra droite ». Autrement dit, l’auteur de l’article ne sait rien, ce qui ne l’empêche pas d’affirmer sur la base de très vagues supputations que peut-être, un peut-être qui se voudrait assuré, un danger d’ultra droite menace. Une menace d’autant plus inquiétante selon l’article que plusieurs des interpellés sont des militaires en activité, le fait a en premier lieu été indiqué par TF1, et des militaires retraités. Diable ! Un coup d’État en préparation ?
Outre Le Monde et TF1, de nombreux médias se sont précipités vers l’os à ronger. RFI, Le JDD du 17 janvier, lequel croit savoir que « l’affaire est suivie de près jusqu’au sommet de l’État » (sans doute une élection approche-t-elle ?), bien que le journal ne trouve pas plus de deux sympathisants supposés d’extrême droite, ce qui n’empêche pas de supputer ainsi : « Selon nos informations, un onzième suspect se trouve actuellement au Mali où il participe à l’opération Barkhane… ». Les points de suspension disent beaucoup.
Franceinfo prône l’affirmative : « Trafic d’armes mettant en cause des militaires : les cinq dernières personnes mises en examen. Vendredi, cinq premiers suspects parmi les dix personnes interpellées mardi avaient été mis en examen. Ce réseau est soupçonné d’avoir fourni des armes à des trafiquants de drogue et des militants de l’ultra droite. ». C’est daté du 16 janvier et les sympathisants deviennent des « militants ».
Pour Le Figaro, photo de fusil d’assaut datant de… 2012 à l’appui, il s’agit d’un « trafic d’armes hors normes ». Là aussi, le journal évoque des soupçons au sujet d’armes fournies à des sympathisants d’ultra droite.
Grossissement ou silence suivant les cas
Ainsi, l’ensemble des médias de grand chemin qui relate la saisie de cet important stock d’armes et le démantèlement du réseau concerné, une fois les détails donnés sur les quantités, « une tonne de matériel » selon Le Figaro, mettent en avant une supputation issue d’une dépêche de l’AFP et relayée par TF1 concernant l’éventuelle implication de vagues sympathisants d’ultra droite. Il n’y a pas le moindre début d’un fait mais la simple indication de cette hypothèse suffira à en faire une sorte de « vérité », autrement dit une fake news.
La réalité ? Il y a des armes partout en France, en particulier dans toutes les cités et les « quartiers ». Ces armes sont entre les mains de délinquants, de criminels, de djihadistes et d’apprentis terroristes ou plus simplement de « jeunes ». Dans tous les cas, des individus ethniquement clairement identifiés. La circulation et la vente de ces armes font l’objet d’un trafic permanent contre lequel les forces de l’ordre luttent, parvenant parfois à démanteler des réseaux. Dans ce dernier cas, lorsque le réseau démantelé concerne des populations « multiculturelles », les médias de grand chemin ne font pas de choux gras. Malgré les centaines de morts liés aux attentats perpétrés en France depuis le début de ce siècle et bien que le trafic d’armes soit lié à des communautés précises, les médias officiels en parlent peu ou pas. Par contre, si un « sympathisant d’ultra droite » est supposé être lié à l’achat d’une arme, ces mêmes médias n’hésitent plus : la dictature menacerait en France. Que ces « sympathisants » existent ou non, sous réserve que l’on puisse apprendre ce que signifie « l’ultra droite » dont parlent ces médias, peu importe au fond aux médias de grand chemin. L’important est de faire croire qu’un danger menacerait.
Sur un sujet adjacent voir le portrait du journaliste Jean-Michel Décugis du Parisien, alias « Mr Fake news ».
Illustration : couverture du jeu vidéo Far Cry 5.